À force de croire que l’on sait, ce qu’en fait on ne sait pas, on crée son propre malheur

Valérie est une jeune et très dynamique maman qui vient me consulter car elle a fait une fausse-couche de son bébé à 5 mois de grossesse.

Lors de l’échographie du 5ème mois, le médecin lui a annoncé que le bébé était mort, sans doute depuis 3 semaines, et qu’il fallait organiser l’accouchement au plus vite.

Paul était le 4ème enfant de la fratrie.

Valérie pensait pouvoir faire face seule, entourée de son mari et de leurs 3 autres enfants. Mais des crises de larmes surviennent, des cauchemars récurrents habitent ses nuits, aussi, sur les conseils d’une amie vient-elle me voir.

La séance se déroule simplement. Tout en étant activée par l’Emdr, elle me fait le récit détaillé de cet événement particulièrement douloureux pour elle et sa famille.

Des flots de larmes alternent avec des moments de répit. Une certaine distance s’opère avec l’événement. Elle me raconte l’annonce par le médecin, leur sidération, l’accouchement qui délivre un bébé mort. La surprise de la découverte de ce joli petit garçon et la décision de le nommer et de l’enterrer dans le caveau familial. Elle me raconte les familles qui se resserrent, entourent et affrontent.

Un raccourci terrible de la vie : hier enceinte, aujourd’hui vide et orpheline d’un petit Paul qui n’aura jamais vu le jour.

 

Le processus thérapeutique agit ; elle s’apaise de plus en plus. En fin de séance pourtant elle reprend le discours narratif que je devine habituel, ou quasi automatique, de ce qui doit être quand on vit un pareil événement. Elle me dit qu’elle se sent beaucoup mieux, plus légère mais qu’elle anticipe avec peur la date de septembre qui était prévue pour le terme. Elle me dit qu’elle sait qu’elle ne peut pas aller bien tant que cette date n’est pas passée.

À ce moment précis de l’entretien, j’interviens. Ce qui se passe là, je le reconnais. Cela se produit de manière récurrente. Nous fabriquons, tous, un discours narratif de nos événements. À plus forte raison pour les événements qui sculptent nos histoires de vie. Cela correspond au besoin irrépressible de donner du sens à ce que nous vivons.

 

Le processus thérapeutique  instaure une distance avec nos blessures émotionnelles, comme à l’insu de notre conscience. À un autre niveau, cognitif, les automatismes se remettent en marche parfois aussitôt après la séance d’activation. Il me semble de plus en plus nécessaire de montrer ce qui se passe. « Vous dites que vous sous sentez mieux, mais vous reprenez un discours qui vous enferme dans votre malheur. Comment allez-vous faire pour aller mieux ? »

Quand Valérie me dit qu’elle ne peut pas aller mieux jusqu’à la date du terme envisagé au début de sa grossesse, je lui demande ce qu’elle en sait. « Comment pouvez-vous affirmer cela ? Comment le savez-vous ? ». Ma question la surprend et la déstabilise.

Ensuite, je lui rappelle qu’elle a accouché, le 16 mai dernier. Paul est venu au monde et a été enterré entouré de toute sa famille. Le terme est passé.

Elle me regarde et me dit que oui, c’est vrai, l’accouchement a eu lieu, le terme est passé.

Je lui propose alors de laisser tomber son discours « tout fait » sur cet événement, d’accepter de laisser agir le processus thérapeutique et de choisir la vie qui est là, à vivre.

 

L’Emdr est un processus puissant dont l’action est parfois très rapide. Ce peut-être déstabilisant. Je considère de ma responsabilité de mettre en exergue qu’à force de savoir ce qu’en fait on ne sait pas, on crée son propre malheur.

 

2019-07-02