De l’inceste

 

Vanessa a 25 ans et vient me consulter sur les conseils d’une amie car elle souffre de difficultés dans sa vie sexuelle et amoureuse.

Elle se définit comme homosexuelle mais au-delà des baisers, elle ne supporte pas les rapports plus intimes.

Elle me dit qu’elle fait des cauchemars liés à son père. En fait, de ses 10 ans à ses 17 ans, âge où elle a quitté le foyer familial, son père a abusé d’elle. C’est-à-dire que la nuit, quand tout le monde dort, il se glisse dans sa chambre et la réveille par des caresses, la lèche, la viole avec ses doigts, l’oblige à le caresser, lui glisse son sexe dans la bouche. Il a abusé de sa sœur aînée aujourd’hui mariée et mère d’un petit garçon et il abuse de sa jeune sœur, adolescente, scolarisée.

Elle me décrit son père comme violent à la maison. Il frappe et viole sa mère régulièrement. Sous des dehors qui peuvent paraître charmeurs, c’est un prédateur. Il flatte ses filles et les tripote pour leur prouver son amour et marquer son territoire.

La fratrie est composée des trois filles ; pas d’autre homme dans la maison que le père qui jouit pleinement de son cheptel.

Vanessa a parlé à sa mère en lui disant qu’elle faisait d’horribles cauchemars concernant son père. Sa mère lui conseille alors de parler à sa grande sœur qui avait fait les mêmes cauchemars ! Vanessa appelle à sa sœur qui lui révèle qu’elle a longtemps subi les « jeux sexuels » de son père et que ça continue sous des formes différentes, palpations des seins, mains aux fesses, baisers insistants. Il en est de même pour Vanessa les rares fois où elle va chez ses parents. Vanessa informe sa sœur que la benjamine subit les mêmes violences.

Que faire ? Rien bien sûr car maman ne s’en remettrait pas.

Vanessa comprend que sa mère est au courant, sans doute depuis longtemps.

À 17 ans Vanessa a quitté la maison car elle n’en pouvait plus. Elle a osé se rebeller et n’a pas vu son père pendant des années. Famille de confession musulmane, son homosexualité ne peut pas être admise par son père. Vanessa a commencé à travailler dès ses 18 ans. Elle gagne et mène sa vie. Elle voit sa mère et sa sœur régulièrement et le moins possible son père.

Un jour, sa mère lui dit que sa jeune sœur se plaint de cauchemars concernant son père… Elle lui demande de lui parler à sa sœur pour la rassurer : ce ne sont que des cauchemars …
Ainsi, le crime se perpétue ; le père est innocenté et les filles se sentent coupables et sales d’avoir des rêves aussi pervers.

Les trois sœurs parlent de cauchemars ; c’est intéressant. Le cauchemar se produit pendant notre sommeil. Le père vient en effet au cœur de la nuit, et réveille ses filles-proies par ses caresses. Quand elles sont pleinement réveillées, il est en pleine action et elles sont enserrées dans ses griffes. Elles sont déjà coupables et soumises. Il leur dit qu’il les aime et les éduque pour être de futures « parfaites épouses ». Le corps a ses mécaniques ; Vanessa avoue qu’elle a parfois éprouvé du plaisir, ce qui la rend doublement coupable et salie.

De plus, si l’on parle de cauchemars, le doute persiste. C’est réel ou phantasmé ? C’est lui le monstre ou « moi » ?

 

La mère ne dit rien, comme beaucoup de mères. Vanessa aime sa mère et en a pitié. Elle sait tout ce qu’elle endure. Pour la première fois de leur vie, ses parents vont acheter une maison, le rêve de sa mère. Elle estime ne pas pouvoir parler, même si elle sait ce que subit sa sœur.

Moi non plus, je ne peux pas parler et cela me tourmente. Cette nuit ou la suivante, un homme précisément, se lèvera pour assouvir ses pulsions sexuelles sur le jeune corps de sa fille, adolescente. Il retournera se coucher auprès de sa femme et le lendemain il ira travailler et discutera avec ses collègues. Il ne sera pas le seul, hélas.

 

Tout est à vomir dans cette histoire qui se continue. De mon mieux, j’aide Vanessa à se réparer. Grâce à l’activation de l’Emdr, son cerveau désensibilise ces images insoutenables qui lui donnent la nausée. Elles deviennent floues, s’estompent, disparaissent et peu à peu, sa respiration s’allège. Au cours du traitement, elle éprouve du dégoût, de la honte puis vient enfin la saine colère, l’envie de le détruire. Après les larmes et la colère viendront le mépris, peut-être la pitié, puis le détachement émotionnel accompagné d’un sentiment de force et de puissance. Elle ressent la force de se rebeller et même de le frapper.

 

C’est capital cette restauration de sa puissance, car l’inceste est un cancer de l’âme. J’ai régulièrement l’impression quand je traite des viols ou des incestes que l’emdr agit tel un laser qui détruit une tumeur. La victime n’est plus victime. Elle restaure sa force, sa puissance intérieure, son estime de soi. Les fondations sont suffisamment réparées pour qu’elle, tout entière, son corps, son cœur, sa psyché puissent faire une place à l’amour. J’aimerais tant pouvoir modifier l’histoire ; je ne le puis. Mais anéantir ces sentiments de culpabilité et de honte qui inoculent leur venin en continu, ça, c’est possible.