De l’importance d’intégrer toutes les dimensions de notre existence

Née sous X

Marie a 44 ans, gracieuse, son élégance la distingue. Elle me consulte parce qu’elle n’arrive pas à quitter son compagnon. Elle vit en couple depuis 10 ans avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle dépeint comme dominant, plein de bagout, de faconde, mondain, divorcé malgré lui. Ils ne partagent plus de sexualité par sa volonté à elle, ce qu’il accepte. Ils cohabitent souvent harmonieusement, souvent avec animosité.

Elle est juriste, financièrement et intellectuellement indépendante.

Nombreux parmi leurs amis communs lui conseillent, par-ci par-là au cours de weekends entre amis, de le quitter, car il est « insupportable ».

Dans son récit je perçois que tout les sépare : il est grand et fort, elle est petite et fluette. Il est extraverti, grand orateur, bateleur, elle est discrète, fine, mutique ; il est proche de la retraite, elle est à mi-parcours de sa vie professionnelle ; Il est père, elle ne s’est pas encore sentie capable de devenir mère.

Marie me décrit sa vie amoureuse comme une succession d’échecs parce qu’elle s’est amourachée d’hommes qui la dominaient, la maltraitaient, la trompaient sans scrupules.

Le début de la séance tourne autour de sa demande que l’on peut résumer par « aidez-moi à le quitter ». Elle demande de l’aide car elle a peur de lui : et s’il se montrait violent ? Peur d’elle-même : est-ce que je vais résister s’il me demande de revenir ? Elle ne comprend pas pourquoi elle se sent incapable de le quitter. Elle ne pense qu’à ça, elle est soutenue par ses parents et ses amis proches, mais c’est plus fort qu’elle. Il la domine de toute sa stature.

Je traduis « l’aider à le quitter » par « l’aider à affronter sa peur de le quitter » et elle accepte.

En élargissant le cercle du questionnement Marie m’informe qu’elle a été adoptée, bébé, par un couple, « les meilleurs parents du monde ». Ils l’aiment, lui ont permis de construire sa vie au milieu de leurs familles respectives. Elle a pu étudier, voyager, se faire des amis. Jusqu’au démarrage de sa vie amoureuse, Marie se définit comme une boute-en-train, espiègle, heureuse. Puis les hommes l’ont éteinte.

Ses parents lui ont révélé très tôt qu’elle était une enfant adoptée née sous X. Par chance sa mère biologique a laissé ses coordonnées acceptant d’être contactée si un jour Marie le souhaitait. C’est une porte ouverte. Marie a été abandonnée mais pas reniée.

Jeune adulte, au sortir de l’adolescence, soutenue par ses parents adoptants, Marie entreprend les démarches administratives pour rencontrer sa mère biologique. Par chance également, ses deux parents biologiques, restés en contact, acceptent tous les deux de la rencontrer. Ce moment à très grands enjeux émotionnels, organisé par les services sociaux concernés, se déroule en terrain neutre, en présence d’une assistante sociale.

Marie apprend qu’à 20 ans, ils vivaient une relation amoureuse et à la découverte de la grossesse de la jeune femme, leurs parents se sont opposés à leur désir de mariage. L’avortement étant exclu par conviction religieuse, la jeune mère doit accoucher sous X et abandonner l’enfant.

Son père biologique a continué sa vie ; études, mariage, paternité. Elle, sa mère biologique, célibataire, vit encore chez ses parents, à plus de 40 ans. Comme si sa vie s’était arrêtée ce jour-là.

Marie m’exprime sa déception. Elle n’aime pas ce qu’elle a vu ; les corps, les attitudes, les bons sentiments, la tendresse débordante de la femme-mère. Elle ne les reverra pas et remerciera la vie de lui avoir donné ses parents adoptants, les seuls vrais à ses yeux. Et tant mieux.

Mais comment faire un travail thérapeutique sans prendre en compte cette histoire des origines ? Je m’autorise à en parler. J’imagine à voix haute la grossesse de cette jeune femme, ses larmes, sa solitude ; peut-être était-elle en partie séquestrée par ses parents ?

Marie est le fruit d’une relation amoureuse heureuse et malheureusement empêchée. Le couple s’aimait et souhaitait s’engager. Les parents de la mère en ont décidé autrement et ont imposé une rupture avec abandon d’enfant ; la punition était tellement sévère que la vie de cette jeune femme s’est arrêtée net. Plus aucun essor ou espoir d’envol.

Quand on sait que l’amygdale, structure du cerveau essentielle à l’élaboration des émotions, est active au 6ème mois de grossesse, comment faire fi de cette genèse ?

Les yeux plein de larmes, Marie me dit que je suis la première à lui parler ainsi.

Je suis convaincue que c’est à ce moment précis que non seulement nous avons créé une alliance thérapeutique, mais nous touchions une piste quant à son immobilité, son incapacité à se mettre en mouvement.

Nous avons pris le temps de remettre l’histoire de ses parents biologiques dans le récit de sa vie en travaillant sur sa déception. Pour continuer sa vie, pleine et entière, Marie devait accepter cette partie douloureuse de son histoire.   

Il n’a pas fallu 5 séances pour que Marie se mette en marche et quitte son compagnon.

L’Emdr est un processus thérapeutique intégratif ; c’est en intégrant et désensibilisant les événements douloureux de nos vies dans les réseaux de mémoire, les tissant les uns avec les autres, plus heureux ou neutres, que la guérison opère.