Du deuil

Élodie 49 ans, mariée, 2 enfants ados, travaille dans le domaine culturel qui a été très impacté par la pandémie de la Covid. Elle se sent fragile. C’est un état qu’elle connaît bien. Elle a déjà suivi des psychothérapies depuis ses 17 ans.

Elle me consulte car elle a subi une « grosse trahison » – ce sont ses mots – au travail et qu’elle ne parvient pas à la dépasser. Je lui demande si elle s’est déjà sentie trahie, dans sa vie professionnelle ou personnelle.

Spontanément, elle évoque, en larmes, le décès de son père survenu de manière soudaine quand elle avait 13 ans et lui 40, d’une crise cardiaque.

 Je découvre qu’il était un homme politique, député maire, très charismatique.

Les différentes thérapies l’ont aidée à continuer à vivre, étudier, choisir un univers professionnel qui la passionne, se marier, devenir mère ; mais Élodie a l’amour inquiet pour ses proches. Elle est aux aguets.

Elle est sans doute aux aguets depuis la mort de son père qu’elle admirait d’autant plus qu’il était très occupé et souvent absent. Les jolis souvenirs qu’elle a de lui sont ceux de périodes de vacances, dans leur maison de campagne, à l’abri des regards indiscrets. Là, il était le père aimant et blagueur, débordant d’énergie et d’humour.

Le jour du décès, sa mère était absente. Élodie dormait chez ses grands-parents. Sa grand-mère la réveille et lui dit que son a eu un problème, sans lui en dire plus. Elle est emmenée par sa grand-mère dans la maison familiale, monte l’escalier qui mène aux chambres et quand elle entre dans la chambre de ses parents et découvre son père allongé dans le lit, elle comprend très vite qu’il est mort. Elle comprend et elle ne comprend pas. Comment est-ce possible ? Si jeune, si vivant ?

Quant à notre plan de travail, nous décidons que ce souvenir encore très clair à son esprit sera notre porte d’entrée dans ses réseaux de mémoire pour traiter le traumatisme.

 Très rapidement, au cours de la première séance de travail, le visage de son père lui apparait souriant, il la regarde et lui demande de le lâcher. Elle est bouleversée et sanglote. Elle réalise pleinement, comme si cette réalité lui était révélée, que ça fait 36 ans qu’elle vit ce deuil sans l’avoir accepter, sans avoir accepter qu’il parte ; « je croyais que j’avais accepté » sanglote-t-elle, ce qui est très certainement le cas d’un point de vue cognitif, mais émotionnellement, son cœur pleure encore son père. Souvenons-nous qu’un traumatisme est toujours émotionnel. Souvenons-nous aussi qu’un traumatisme non traité reste actif.

Lors des 3 séances suivantes, Élodie va revivre tous les événements associés à ce décès brutal ; la ville en émoi, les obsèques publiques, les conséquences sur leur vie, sa mère, son frère et elle.

Le processus thérapeutique de l’EMDR lui permet de laisser émerger les émotions négatives de colère, rancune, tristesse, peur qui s’entremêlent confusément. Les émotions affleurent puis s’estompent. L’événement s’estompe, l’image se modifie jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus la rappeler. Quand elle pense à son père, c’est un bel homme souriant qui se présente à sa mémoire.

Émotionnellement Élodie ne craint plus de lâcher son père dans la mort, car mieux que comprendre, elle ressent que lâcher n’est pas oublier, ni trahir, ni cesser d’aimer. Lâcher, c’est accepter cet événement tragique qui s’est inscrit au cœur de sa vie. C’est si facile à dire et souvent si difficile à laisser advenir.

Élodie est perturbée par toutes les larmes qu’elle verse dans mon bureau. Heureusement, nous avons la sagesse d’en rire.

À la 4ème séance, la mort de son père cède la place aux stratégies qu’elle a mise en place, à partir de l’adolescence pour conjurer le sort. Elle pleure toutes ses inquiétudes, pour ses enfants, son mari, sa mère, son frère, et sa ménopause qui commence à se manifester !

À 13 ans, Élodie a appris que l’impensable, voire l’impossible, était possible. De manière non consciente elle a développé une stratégie qui lui procure une illusion de contrôle et la rassure. C’est une tentative de solution. Elle se dit que si elle anticipe les drames éventuels, ils ne se produiront pas. C’est une pensée magique qui lui permet de laisser partir en voiture son mari, d’autoriser ses enfants à vivre leur vie d’adolescents avec les prises de risque naturelles que cela comporte : pratiquer du sport, aller chez des amis, partir en vacances sans les parents …

En effet, la mort de son père, elle ne l’avait pas anticipée et c’est arrivée ! Elle s’était dit que si elle y avait pensé, ça ne se serait peut-être pas produit. Élodie est intelligente et saisit la naïveté de son raisonnement, mais face à une si grande souffrance comment vivre sereinement avec la peur aigüe que la mort puisse s’inviter à tout moment ?

Ainsi, depuis ses 13 ans, elle vit dans l’anticipation des drames éventuels à venir. Et depuis 2 ans, c’est la trouille de la ménopause. Peur de vieillir, peur de grossir, peur de ne plus dormir, peur des troubles de l’humeur… Ce n’est pas rigolo les troubles hormonaux de la ménopause, mais ce n’est pas un drame évitable par des pensées magiques.

Notre travail se poursuit beaucoup plus légèrement vers l’acceptation des étapes de la vie. Je dis légèrement car désormais Élodie est une femme différente. Ses amis et collègues la trouvent rayonnante. Elle est plus disponible au présent. Elle a retrouvé une belle énergie. Et très fièrement elle souligne les séances sans larmes !

Je reviens sur la notion de deuil, car ce qui s’est passé avec Élodie, je l’observe de manière récurrente.

Retenir nos morts, garder la souffrance du manque serait une preuve d’amour ? Accepter de ne plus souffrir, de les laisser partir, serait trahir ? Plus je souffre plus j’aime ? Il y a peut-être de cela. Cela ne se dit pas clairement, cela se manifeste en général par des larmes quand je parle d’acceptation, de laisser s’en aller, de ne garder que les heureux souvenirs. Les larmes coulent toutes seules et certains disent : je veux bien mais comment faire pour laisser s’en aller ? D’autres : je ne veux pas l’oublier ! Je préfère ne rien faire si je dois l’oublier.

Qui parle d’oubli ? Laisser s’en aller, est-ce oublier ? Ne pas pleurer, ne pas souffrir à l’évocation du souvenir d’une personne aimée, est-ce ne plus aimer ? la souffrance est-elle une preuve d’amour ? Dans mon idéal, l’amour est une joie, une énergie, une force ; dans ma vie quotidienne de femme, l’amour est parfois une douleur chagrine. S’accrocher à l’idéal d’une joie est un bel objectif, de mon point de vue.

Les blessures émotionnelles sont des filtres puissants qui pompent une énergie phénoménale ! Alors que le présent requiert toute notre disponibilité pour se vivre.

De l’inceste

 

Vanessa a 25 ans et vient me consulter sur les conseils d’une amie car elle souffre de difficultés dans sa vie sexuelle et amoureuse.

Elle se définit comme homosexuelle mais au-delà des baisers, elle ne supporte pas les rapports plus intimes.

Elle me dit qu’elle fait des cauchemars liés à son père. En fait, de ses 10 ans à ses 17 ans, âge où elle a quitté le foyer familial, son père a abusé d’elle. C’est-à-dire que la nuit, quand tout le monde dort, il se glisse dans sa chambre et la réveille par des caresses, la lèche, la viole avec ses doigts, l’oblige à le caresser, lui glisse son sexe dans la bouche. Il a abusé de sa sœur aînée aujourd’hui mariée et mère d’un petit garçon et il abuse de sa jeune sœur, adolescente, scolarisée.

Elle me décrit son père comme violent à la maison. Il frappe et viole sa mère régulièrement. Sous des dehors qui peuvent paraître charmeurs, c’est un prédateur. Il flatte ses filles et les tripote pour leur prouver son amour et marquer son territoire.

La fratrie est composée des trois filles ; pas d’autre homme dans la maison que le père qui jouit pleinement de son cheptel.

Vanessa a parlé à sa mère en lui disant qu’elle faisait d’horribles cauchemars concernant son père. Sa mère lui conseille alors de parler à sa grande sœur qui avait fait les mêmes cauchemars ! Vanessa appelle à sa sœur qui lui révèle qu’elle a longtemps subi les « jeux sexuels » de son père et que ça continue sous des formes différentes, palpations des seins, mains aux fesses, baisers insistants. Il en est de même pour Vanessa les rares fois où elle va chez ses parents. Vanessa informe sa sœur que la benjamine subit les mêmes violences.

Que faire ? Rien bien sûr car maman ne s’en remettrait pas.

Vanessa comprend que sa mère est au courant, sans doute depuis longtemps.

À 17 ans Vanessa a quitté la maison car elle n’en pouvait plus. Elle a osé se rebeller et n’a pas vu son père pendant des années. Famille de confession musulmane, son homosexualité ne peut pas être admise par son père. Vanessa a commencé à travailler dès ses 18 ans. Elle gagne et mène sa vie. Elle voit sa mère et sa sœur régulièrement et le moins possible son père.

Un jour, sa mère lui dit que sa jeune sœur se plaint de cauchemars concernant son père… Elle lui demande de lui parler à sa sœur pour la rassurer : ce ne sont que des cauchemars …
Ainsi, le crime se perpétue ; le père est innocenté et les filles se sentent coupables et sales d’avoir des rêves aussi pervers.

Les trois sœurs parlent de cauchemars ; c’est intéressant. Le cauchemar se produit pendant notre sommeil. Le père vient en effet au cœur de la nuit, et réveille ses filles-proies par ses caresses. Quand elles sont pleinement réveillées, il est en pleine action et elles sont enserrées dans ses griffes. Elles sont déjà coupables et soumises. Il leur dit qu’il les aime et les éduque pour être de futures « parfaites épouses ». Le corps a ses mécaniques ; Vanessa avoue qu’elle a parfois éprouvé du plaisir, ce qui la rend doublement coupable et salie.

De plus, si l’on parle de cauchemars, le doute persiste. C’est réel ou phantasmé ? C’est lui le monstre ou « moi » ?

 

La mère ne dit rien, comme beaucoup de mères. Vanessa aime sa mère et en a pitié. Elle sait tout ce qu’elle endure. Pour la première fois de leur vie, ses parents vont acheter une maison, le rêve de sa mère. Elle estime ne pas pouvoir parler, même si elle sait ce que subit sa sœur.

Moi non plus, je ne peux pas parler et cela me tourmente. Cette nuit ou la suivante, un homme précisément, se lèvera pour assouvir ses pulsions sexuelles sur le jeune corps de sa fille, adolescente. Il retournera se coucher auprès de sa femme et le lendemain il ira travailler et discutera avec ses collègues. Il ne sera pas le seul, hélas.

 

Tout est à vomir dans cette histoire qui se continue. De mon mieux, j’aide Vanessa à se réparer. Grâce à l’activation de l’Emdr, son cerveau désensibilise ces images insoutenables qui lui donnent la nausée. Elles deviennent floues, s’estompent, disparaissent et peu à peu, sa respiration s’allège. Au cours du traitement, elle éprouve du dégoût, de la honte puis vient enfin la saine colère, l’envie de le détruire. Après les larmes et la colère viendront le mépris, peut-être la pitié, puis le détachement émotionnel accompagné d’un sentiment de force et de puissance. Elle ressent la force de se rebeller et même de le frapper.

 

C’est capital cette restauration de sa puissance, car l’inceste est un cancer de l’âme. J’ai régulièrement l’impression quand je traite des viols ou des incestes que l’emdr agit tel un laser qui détruit une tumeur. La victime n’est plus victime. Elle restaure sa force, sa puissance intérieure, son estime de soi. Les fondations sont suffisamment réparées pour qu’elle, tout entière, son corps, son cœur, sa psyché puissent faire une place à l’amour. J’aimerais tant pouvoir modifier l’histoire ; je ne le puis. Mais anéantir ces sentiments de culpabilité et de honte qui inoculent leur venin en continu, ça, c’est possible.

 

De l’importance d’intégrer toutes les dimensions de notre existence

Née sous X

Marie a 44 ans, gracieuse, son élégance la distingue. Elle me consulte parce qu’elle n’arrive pas à quitter son compagnon. Elle vit en couple depuis 10 ans avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle dépeint comme dominant, plein de bagout, de faconde, mondain, divorcé malgré lui. Ils ne partagent plus de sexualité par sa volonté à elle, ce qu’il accepte. Ils cohabitent souvent harmonieusement, souvent avec animosité.

Elle est juriste, financièrement et intellectuellement indépendante.

Nombreux parmi leurs amis communs lui conseillent, par-ci par-là au cours de weekends entre amis, de le quitter, car il est « insupportable ».

Dans son récit je perçois que tout les sépare : il est grand et fort, elle est petite et fluette. Il est extraverti, grand orateur, bateleur, elle est discrète, fine, mutique ; il est proche de la retraite, elle est à mi-parcours de sa vie professionnelle ; Il est père, elle ne s’est pas encore sentie capable de devenir mère.

Marie me décrit sa vie amoureuse comme une succession d’échecs parce qu’elle s’est amourachée d’hommes qui la dominaient, la maltraitaient, la trompaient sans scrupules.

Le début de la séance tourne autour de sa demande que l’on peut résumer par « aidez-moi à le quitter ». Elle demande de l’aide car elle a peur de lui : et s’il se montrait violent ? Peur d’elle-même : est-ce que je vais résister s’il me demande de revenir ? Elle ne comprend pas pourquoi elle se sent incapable de le quitter. Elle ne pense qu’à ça, elle est soutenue par ses parents et ses amis proches, mais c’est plus fort qu’elle. Il la domine de toute sa stature.

Je traduis « l’aider à le quitter » par « l’aider à affronter sa peur de le quitter » et elle accepte.

En élargissant le cercle du questionnement Marie m’informe qu’elle a été adoptée, bébé, par un couple, « les meilleurs parents du monde ». Ils l’aiment, lui ont permis de construire sa vie au milieu de leurs familles respectives. Elle a pu étudier, voyager, se faire des amis. Jusqu’au démarrage de sa vie amoureuse, Marie se définit comme une boute-en-train, espiègle, heureuse. Puis les hommes l’ont éteinte.

Ses parents lui ont révélé très tôt qu’elle était une enfant adoptée née sous X. Par chance sa mère biologique a laissé ses coordonnées acceptant d’être contactée si un jour Marie le souhaitait. C’est une porte ouverte. Marie a été abandonnée mais pas reniée.

Jeune adulte, au sortir de l’adolescence, soutenue par ses parents adoptants, Marie entreprend les démarches administratives pour rencontrer sa mère biologique. Par chance également, ses deux parents biologiques, restés en contact, acceptent tous les deux de la rencontrer. Ce moment à très grands enjeux émotionnels, organisé par les services sociaux concernés, se déroule en terrain neutre, en présence d’une assistante sociale.

Marie apprend qu’à 20 ans, ils vivaient une relation amoureuse et à la découverte de la grossesse de la jeune femme, leurs parents se sont opposés à leur désir de mariage. L’avortement étant exclu par conviction religieuse, la jeune mère doit accoucher sous X et abandonner l’enfant.

Son père biologique a continué sa vie ; études, mariage, paternité. Elle, sa mère biologique, célibataire, vit encore chez ses parents, à plus de 40 ans. Comme si sa vie s’était arrêtée ce jour-là.

Marie m’exprime sa déception. Elle n’aime pas ce qu’elle a vu ; les corps, les attitudes, les bons sentiments, la tendresse débordante de la femme-mère. Elle ne les reverra pas et remerciera la vie de lui avoir donné ses parents adoptants, les seuls vrais à ses yeux. Et tant mieux.

Mais comment faire un travail thérapeutique sans prendre en compte cette histoire des origines ? Je m’autorise à en parler. J’imagine à voix haute la grossesse de cette jeune femme, ses larmes, sa solitude ; peut-être était-elle en partie séquestrée par ses parents ?

Marie est le fruit d’une relation amoureuse heureuse et malheureusement empêchée. Le couple s’aimait et souhaitait s’engager. Les parents de la mère en ont décidé autrement et ont imposé une rupture avec abandon d’enfant ; la punition était tellement sévère que la vie de cette jeune femme s’est arrêtée net. Plus aucun essor ou espoir d’envol.

Quand on sait que l’amygdale, structure du cerveau essentielle à l’élaboration des émotions, est active au 6ème mois de grossesse, comment faire fi de cette genèse ?

Les yeux plein de larmes, Marie me dit que je suis la première à lui parler ainsi.

Je suis convaincue que c’est à ce moment précis que non seulement nous avons créé une alliance thérapeutique, mais nous touchions une piste quant à son immobilité, son incapacité à se mettre en mouvement.

Nous avons pris le temps de remettre l’histoire de ses parents biologiques dans le récit de sa vie en travaillant sur sa déception. Pour continuer sa vie, pleine et entière, Marie devait accepter cette partie douloureuse de son histoire.   

Il n’a pas fallu 5 séances pour que Marie se mette en marche et quitte son compagnon.

L’Emdr est un processus thérapeutique intégratif ; c’est en intégrant et désensibilisant les événements douloureux de nos vies dans les réseaux de mémoire, les tissant les uns avec les autres, plus heureux ou neutres, que la guérison opère.

À force de croire que l’on sait, ce qu’en fait on ne sait pas, on crée son propre malheur

Valérie est une jeune et très dynamique maman qui vient me consulter car elle a fait une fausse-couche de son bébé à 5 mois de grossesse.

Lors de l’échographie du 5ème mois, le médecin lui a annoncé que le bébé était mort, sans doute depuis 3 semaines, et qu’il fallait organiser l’accouchement au plus vite.

Paul était le 4ème enfant de la fratrie.

Valérie pensait pouvoir faire face seule, entourée de son mari et de leurs 3 autres enfants. Mais des crises de larmes surviennent, des cauchemars récurrents habitent ses nuits, aussi, sur les conseils d’une amie vient-elle me voir.

La séance se déroule simplement. Tout en étant activée par l’Emdr, elle me fait le récit détaillé de cet événement particulièrement douloureux pour elle et sa famille.

Des flots de larmes alternent avec des moments de répit. Une certaine distance s’opère avec l’événement. Elle me raconte l’annonce par le médecin, leur sidération, l’accouchement qui délivre un bébé mort. La surprise de la découverte de ce joli petit garçon et la décision de le nommer et de l’enterrer dans le caveau familial. Elle me raconte les familles qui se resserrent, entourent et affrontent.

Un raccourci terrible de la vie : hier enceinte, aujourd’hui vide et orpheline d’un petit Paul qui n’aura jamais vu le jour.

 

Le processus thérapeutique agit ; elle s’apaise de plus en plus. En fin de séance pourtant elle reprend le discours narratif que je devine habituel, ou quasi automatique, de ce qui doit être quand on vit un pareil événement. Elle me dit qu’elle se sent beaucoup mieux, plus légère mais qu’elle anticipe avec peur la date de septembre qui était prévue pour le terme. Elle me dit qu’elle sait qu’elle ne peut pas aller bien tant que cette date n’est pas passée.

À ce moment précis de l’entretien, j’interviens. Ce qui se passe là, je le reconnais. Cela se produit de manière récurrente. Nous fabriquons, tous, un discours narratif de nos événements. À plus forte raison pour les événements qui sculptent nos histoires de vie. Cela correspond au besoin irrépressible de donner du sens à ce que nous vivons.

 

Le processus thérapeutique  instaure une distance avec nos blessures émotionnelles, comme à l’insu de notre conscience. À un autre niveau, cognitif, les automatismes se remettent en marche parfois aussitôt après la séance d’activation. Il me semble de plus en plus nécessaire de montrer ce qui se passe. « Vous dites que vous sous sentez mieux, mais vous reprenez un discours qui vous enferme dans votre malheur. Comment allez-vous faire pour aller mieux ? »

Quand Valérie me dit qu’elle ne peut pas aller mieux jusqu’à la date du terme envisagé au début de sa grossesse, je lui demande ce qu’elle en sait. « Comment pouvez-vous affirmer cela ? Comment le savez-vous ? ». Ma question la surprend et la déstabilise.

Ensuite, je lui rappelle qu’elle a accouché, le 16 mai dernier. Paul est venu au monde et a été enterré entouré de toute sa famille. Le terme est passé.

Elle me regarde et me dit que oui, c’est vrai, l’accouchement a eu lieu, le terme est passé.

Je lui propose alors de laisser tomber son discours « tout fait » sur cet événement, d’accepter de laisser agir le processus thérapeutique et de choisir la vie qui est là, à vivre.

 

L’Emdr est un processus puissant dont l’action est parfois très rapide. Ce peut-être déstabilisant. Je considère de ma responsabilité de mettre en exergue qu’à force de savoir ce qu’en fait on ne sait pas, on crée son propre malheur.

 

2019-07-02

 

 

 

De la colère

Jean-Luc vient me voir parce qu’il est envahi par une colère très envahissante  et douloureuse depuis 2 ans, suite à la rupture d’avec sa femme, mère de ses enfants.

Dans l’histoire de son couple Jean-Luc a le sentiment d’avoir été trahi, trompé, voire manipulé,  et ce depuis dès le début de la relation. Il a aimé passionnément cette femme, d’où l’intensité de sa colère.

Depuis deux ans, le divorce a été prononcé et les modes de garde définis. Il entretient de bonnes relations avec ses enfants. Il a changé de travail et débute une nouvelle relation amoureuse. Il est amené à voir son ex-épouse chaque semaine pour les enfants, ce qui maintient une grande tension en lui.

De sa propre initiative,  il a rejoint un groupe de méditation et a installé des appli sur son téléphone pour apprendre à s’apaiser.

Je décide en accord avec lui de traiter sa ou ses colères à l’aide de l’Emdr. Processus thérapeutique parfaitement adapté pour toutes les blessures émotionnelles.

Rapidement les colères diminuent, il sent qu’il prend plus de recul.

Ce qui m’importe ici c’est ce que nos émotions nous disent de nous.

Les merveilleux bienfaits et les limites de la méditation

Jean-Luc a choisi de s’aider avec la méditation et il a raison. Les transformations bénéfiques que cette pratique opère sur notre cerneau sont aujourd’hui prouvées et véhiculées grâce à de très grands méditants comme Mathieu Ricard, Jon Kabat-Zinn, Christophe André, François Jullien. Moi-même je pratique depuis une quinzaine d’années et encourage toujours mes clients à tenter cette aventure à long terme.

En revanche, ce que ma pratique thérapeutique et ma propre expérience m’ont enseigné, c’est que la méditation seule ne peut suffire à résoudre nos problématiques émotionnelles. Si la blessure émotionnelle n’est pas traitée, l’émotion ne cédera pas.

Le traitement des blessures responsables de nos émotions négatives libère de la lucidité et décuple les bienfaits de la méditation.

Têtu comme une émotion

En effet, c’est à la fois très fugitif et très têtu une émotion ! Deux ans de colère intense, ce n’est pas rien. C’est épuisant et c’est un filtre puissant entre nous et notre réalité.

Nos émotions sont premières et souveraines. Telles les feuilles légères d’un arbre, elles vibrent en permanence au contact de nos environnements. Baromètre de nos états intérieurs, elles nous renseignent sur notre relation au monde.

La colère de Jean-Luc a commencé à diminuer à partir du moment où, ensemble, nous avons pris le temps d’écouter ce qu’elle avait à lui dire. Rapidement les informations ont commencé à affluer. En activant fortement les deux hémisphères du cerveau, l’Emdr favorise les associations libres.  Son aveuglement à ne pas vouloir voir les signes émis par les comportements de son ex-épouse et sa soumission au dénigrement à son encontre se sont articulés dans une lecture plus éclairée des dix dernières années de sa vie. Des liens avec son enfance et des schémas parentaux sont apparus également. En même temps qu’il comprenait les motivations de son aveuglement, la colère et le chagrin refluaient pour laisser place au présent à écrire au futur.

Moments de grâce

P., 40 ans, me consulte au départ pour des difficultés relationnelles au sein de son couple. Très rapidement il en vient à me parler de ses ruminations douloureuses quant à ses relations avec ses parents et plus particulièrement avec sa mère. Il lui en veut. Il lui en veut de ne pas avoir été suffisamment présente, d’avoir préféré son frère aîné, de ne pas l’avoir soutenu dans ses choix de jeune adulte. Depuis quelques séances, nous nous consacrons à cette rancoeur bien ancrée, lorsque surgit à lui, au cours d’un traitement EMDR, la conscience d’un schéma de pensée profond.

1ère étape :  Il me dit qu’il s’est construit dans et grâce à une opposition à sa mère, et qu’il en est fier. « Et si je n’ai plus à m’opposer à elle, que me reste-t-il ? »

2ème étape : « Je me pensais plus fort que ça. En fait, c’est à moi que j’en veux de m’être montré si faible. »

Moment de grâce qui lui permet, soudain, d’accéder à une vérité intérieure et à un état plus adulte.

Toutes nos émotions sont légitimes, mais en l’occurrence ses émotions réactionnelles lui cachaient une autre émotion intime, peu glorieuse : une certaine honte. Ainsi se réalise le travail thérapeutique. Continuer à en vouloir à sa mère est sans issue ; ils en souffrent tous les deux. Elle, impuissante, lui répète en boucle qu’elle l’aime et lui, claquemuré dans sa rancune, ne peut entendre cette affection.

L’opposition lui fut nécessaire à une période de sa vie ; il peut passer à autre chose. Faire la paix avec lui-même en acceptant ce maillage de force et de faiblesse lui permet de libérer énergie et lucidité.

Comment le passé fait mal au présent

Nos souvenirs douloureux ancrés dans nos réseaux de mémoire peuvent être perçus comme des traumatismes émotionnels.Notre cerveau, malgré toutes ses compétences fabuleuses, ne parvient pas toujours à traiter ces informations associées à des expériences singulières. Ces souvenirs restent là, quelque part, parfois, souvent peut-être, dormants.

À partir de ces expériences nous bâtissons des croyances, hélas dysfonctionnelles : je suis nul(le), personne ne m’aime, je vaux moins que les autres, je ne suis pas capable, etc. C’est une petite musique de fond qui se joue plus ou moins en sourdine au quotidien. Notre passé nous fait mal au présent.

La résurgence du passé se manifeste parfois de manière plus spectaculaire, comme un tremblement de terre, lorsqu’un événement particulier entre soudainement en résonnance avec une blessure émotionnelle. De manière impromptue, à notre insu, nous sommes en sur-réaction : crises d’angoisse, attaques de panique, violences verbales ou physique, symptômes psychosomatiques… ; « nous pétons un câble », « nous partons en vrille », nous tombons malades. À nouveau, notre passé amplifie la douleur du présent.

L’Emdr est un magnifique processus thérapeutique qui nous aide à cicatriser nos blessures émotionnelles originelles. En cascade, peu à peu, nos croyances dysfonctionnelles se déconstruisent. Le passé retourne à sa place, dans le passé.

Nous sommes disponibles pour vivre le présent avec lucidité.

10/03/2018

Comment nos jugements rapides nous leurrent

Notre esprit se raconte quasi en permanence des histoires  sur nous et ce que nous vivons avec une grande aisance. C’est indispensable car cela donne du sens et structure notre réalité. En revanche, il se contente la plupart du temps de très peu d’informations pour se convaincre de la véracité de son histoire. De nombreux biais agissent :
  •  L’insuffisance : La dernière personne que vous avez jugée sympathique ou au contraire sans intérêt ; sur quelles informations avez-vous établi votre jugement ? Et vous, avez-vous souffert de jugements que vous avez ressentis comme injuste ? On tient compte de ce qu’on voit ou entend et rien d’autre. Nous ne prenons pas en compte le fait que nous disposons de très peu d’informations.
  •  Le cadrage : que pensez-vous des deux phrases suivantes : « les chances de survie un mois après l’intervention chirurgicale sont de 90 % » et « la mortalité est de 10% dans le mois qui suit l’intervention chirurgicale ». Elles sont équivalentes et pourtant ; laquelle vous rassure le plus ?
  •  La disponibilité : À cause de la coïncidence de deux accidents d’avion le mois dernier, maintenant elle préfère prendre le train ou pire sa voiture. C’est ballot. Elle devrait s’intéresser aux statistiques ; c’est un biais de disponibilité.
Source : « système 1 et système 2. Les deux vitesses de la pensée. » Daniel Kahneman